Tourisme 2075 : voyages de noces
Imaginer le tourisme en 2075 revient à écrire, sur la même page, l’acte de naissance d’un espoir et l’oraison funèbre d’une civilisation. D’ici là, l’humanité peut s’être dissoute dans la fièvre d’une guerre totale, dans la brûlure lente du climat, dans l’effacement obstiné de la biodiversité ; elle peut aussi, par miracle d’intelligence, avoir dompté ses pulsions et offert à chacun la certitude qu’il n’est nul besoin de parcourir la Terre pour la posséder – encore moins pour se posséder soi-même.
Le nomadisme, matrice de toutes nos aventures, survivra parce qu’il sait plier sans rompre ; il renaît où la sédentarité s’effrite. Le tourisme, lui, n’est pas le nomadisme ; il n’en est qu’un théâtre fragile, une illusion de liberté inventée pour des sédentaires en mal d’ailleurs. Demain, alors que la cohorte des vivants se fera plus mince et plus âgée, les grands courants que l’on appellera migrations ne longeront plus les rivages ; ils remonteront vers l’intérieur des terres, vers des campagnes redevenues capitales, sur des continents où l’Afrique et l’Inde écriront, loin des littoraux engloutis, de nouveaux chapitres d’histoire.
Le voyage‐spectacle, jetable et carbonifère, appartiendra au passé. L’empreinte de chaque kilomètre pèsera si lourd qu’un seul déplacement deviendra un événement. Ceux qui partiront le feront pour réparer autant que pour contempler : un pas, un arbre ; une traversée, un récif regreffé. D’autres choisiront l’immersion holographique, sentiront l’odeur d’un port toscan sans quitter leur salon, toucheront la soie de Kyoto dans la trame lumineuse d’un rêve partagé. Et pourtant, rien ne vaudra la lenteur retrouvée : la marche, le vélo, le dirigeable qui fend le ciel à la vitesse d’un nuage.
L’essentiel sera ailleurs, dans l’exception ; dans le voyage de noces. Noces avec la planète (séjours d’alliance et de soins rendus aux écosystèmes meurtris). Noces avec soi (retraites de silence où l’on s’écoute respirer l’univers). Noces avec l’autre (voyages d’amour ou d’amitié, pas forcément loin, périples minuscules, vécus à hauteur de regard et de gratitude). Noces avec l’humanité (missions de science citoyenne, chantiers où l’on rebâtit des temples et des ponts pour se souvenir que bâtir, c’est croire).
Chaque voyage deviendra rare comme un serment, lourd comme une responsabilité, léger comme une déclaration d’amour. Et peut-être alors, au seuil d’un monde enfin adulte, l’homme comprendra que le plus long des périples est celui qui le ramène, émerveillé, à la fragile splendeur de sa propre demeure.
Le futur de l'aventure par Mike Horn